Lore:La Reine-Louve

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Compilation de livres
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Note
Ceci est une compilation de livres assemblée pour une lecture plus facile.
La Reine-Louve
La vie de la reine Potéma

Livre un

De la plume de Montocaï, sage du premier siècle de l'ère Troisième :

3E 63

À l'automne, le prince Pélagius, fils du prince Uriel, lui-même fils de l'impératrice Kintyra, nièce du grand empereur Tiber Septim, se rendit à la cité-état de Camlorn, en Hauteroche, pour faire la cour à la fille du roi Vulstaed. Quintilla était la plus belle princesse de Tamriel. Douée pour tous les arts féminins, elle était également une ensorceleuse accomplie.

Veuf depuis onze ans et ayant un fils prénommé Antiochus, Pélagius découvrit à son arrivée que la cité-état était terrorisée par un loup-garou démoniaque. Au lieu d'apprendre à se connaître selon les règles, Pélagius et Quintilla décidèrent de s'allier pour sauver le royaume. L'épée du premier et la magie de la seconde permirent de tuer la bête. Une fois cela fait, Quintilla emprisonna l'âme du monstre dans une gemme, que Pélagius fit sertir sur un anneau. Et les deux se marièrent.

Mais on prétend que l'âme du loup resta en compagnie du couple jusqu'à la naissance de leur premier enfant.

3E 80

" L'ambassadeur de Solitude vient d'arriver, Majesté, murmura Balvus, le chef du protocole.

- Au beau milieu du dîner ? bougonna l'empereur. Dites-lui donc d'attendre.

- Non, père, il est important que vous le receviez sur l'heure, protesta Pélagius en se levant. Vous ne pouvez pas le faire patienter pour lui communiquer ensuite une mauvaise nouvelle.

- Dans ce cas, ne pars surtout pas. Tu es bien meilleur diplomate que moi. Nous devrions avoir toute la famille à dîner, ajouta Uriel II en prenant conscience du peu de gens qui l'entourait. Mais où est donc ta mère ? "

Pélagius aurait bien aimé rétorquer qu'elle se trouvait actuellement dans le lit de l'archidiacre de Kynareth mais, comme son père venait de le lui faire remarquer, il était le diplomate de la famille.

" Elle est en train de prier, répondit-il donc.

- Et ton frère et ta sœur ?

- Amiel se trouve à Primecastel, où il avait rendez-vous avec l'archimage de la guilde des Mages. Et, même si nous ne pouvons bien évidemment pas le dire à l'ambassadeur, Galana prépare son mariage avec le duc de Narsis. Comme l'ambassadeur s'attend à ce qu'elle épouse le roi de Solitude, nous devrions lui dire qu'elle est allée se faire enlever quelques verrues par trop persistantes. À partir de cet instant, vous pouvez être sûr qu'il n'insistera plus pour que cette union se fasse, même si elle reste intéressante pour eux sur le plan politique. Mais vous savez l'opinion que les Nordiques ont des femmes à verrues...

- Mais les miens devraient quand même m'entourer pour que je n'aie pas l'air d'un vieillard sénile méprisé par ses proches, grommela l'empereur, pourtant persuadé d'avoir mis le doigt sur le nœud du problème. Et ta femme ? Où sont-ils, elle et mes petits-enfants ?

- Quintilla est dans la nursery avec Céphorus et Magnus, tandis qu'Antiochus doit courir la gueuse en ville. J'ignore ce que fait Potéma ; j'imagine qu'elle en train d'étudier. Mais je croyais que vous n'aimiez pas être entouré d'enfants.

- Si, quand je dois recevoir un ambassadeur dans une salle humide. Les enfants apportent un peu de... je ne sais pas, moi, d'innocence et de politesse. Ah, et puis, faites entrer ce maudit ambassadeur ", grogna-t-il à l'attention du maître de cérémonie.

Potéma se morfondait. C'était la saison des pluies dans la province impériale et les rues comme les jardins de la cité étaient inondés. Il pleuvait en permanence. Quand avait-elle vu le soleil pour la dernière fois ? Était-ce plusieurs jours ou plusieurs semaines auparavant ? La lueur indistincte des torches brûlant en permanence dans le palais empêchait de déterminer l'heure qu'il était et, alors qu'elle remontait les longs couloirs de marbre et de pierre, l'adolescente ne pensait qu'à une seule et unique chose : combien elle s'ennuyait.

Asthèphe, son tuteur, devait être en train de la chercher. En règle générale, cela ne la dérangeait pas d'apprendre. Dotée d'une excellente mémoire, elle retenait tout ou presque. Pour s'amuser, elle se posa mentalement quelques questions en traversant la salle de bal déserte. À quand remonte la chute de l'Orsinium ? 1E 980. Qui a écrit les Tractations tamriléennes ? Khosey. En quelle année Tiber Septim est-il né ? 2E 288 [sic]. Qui est le roi de Daguefilante ? Mortyn, fils de Gothlyr. Et celui de Silvenar ? Varbarenth, fils de Varbaril. Qui est le chef de guerre de Lilmoth ? Question piège, ça. C'est une cheftaine, Ioa.

Qu'aurai-je si je suis gentille, si je ne crée d'ennuis à personne et si mon tuteur dit que je suis une excellente élève ? Père et mère reviendront sur leur promesse de m'acheter un katana daedrique, affirmant qu'il ne m'en avaient jamais parlé et qu'un tel cadeau est trop cher et bien trop dangereux pour une fille de mon âge.

Des voix lui parvinrent de la salle de réception de l'empereur. Son père et son grand-père s'entretenaient avec un homme à l'accent étrange, un Nordique. Potéma déplaça légèrement une pierre qu'elle avait descellée derrière une tapisserie afin de pouvoir écouter ce qui se disait.

" Soyons francs, Votre Majesté Impériale, disait le Nordique. Mon seigneur, le roi de Solitude, n'en aurait cure si la princesse Galana ressemblait à une Orque. Ce qu'il désire, c'est une alliance avec la famille impériale, et vous avez accepté de lui donner la main de Galana, sous peine de devoir lui rendre les millions en or qu'il vous a avancés pour mater la rébellion des Khajiits à Torval. Tels étaient les termes de l'accord que vous avez juré de respecter.

- Je ne me souviens pas d'un tel accord, répondit Pélagius. Et vous, père ? "

Il y eut un vague grommellement que Potéma reconnut comme provenant de son grand-père.

" Peut-être ma mémoire me joue-t-elle des tours, en effet, concéda le Nordique d'un ton sarcastique. Dans ce cas, il serait bon d'aller faire un tour à la salle des registres. Il me semblait pourtant me rappeler vous avoir vu apposer votre sceau sur ce document avant qu'il ne soit rangé sous clé. Mais je peux me tromper, bien sûr.

- Nous allons envoyer un page chercher le document auquel vous faites référence ", répondit Pélagius de la voix apaisante qu'il prenait systématiquement lorsqu'il s'apprêtait à revenir sur sa promesse ; un ton de voix que la jeune fille ne connaissait que trop bien.

Remettant la pierre à sa place, Potéma quitta précipitamment de la salle de bal. Elle savait que les pages ne se hâtaient jamais, habitués qu'ils étaient à accomplir les volontés d'un empereur sénile. Elle n'aurait besoin que de quelques minutes pour atteindre la salle des registres.

La massive porte en ébène était fermée à clé, mais Potéma savait comment franchir l'obstacle. L'année précédente, elle avait trouvé la femme de chambre bosmer de sa mère en train de voler des bijoux et, en échange de son silence, elle l'avait obligée à lui apprendre comment crocheter les serrures. Sortant deux épingles de sa broche en diamant rouge, elle glissa la première dans la serrure, tâtonnant d'une main assurée afin de mémoriser l'emplacement des gorges et rainures du mécanisme.

Car chaque serrure est en effet différente des autres.

Par exemple, le verrou du garde-manger comprenait six gorges mobiles, une septième fixe et un mécanisme de blocage du pêne. Elle l'avait crocheté pour s'amuser. Si elle avait voulu empoisonner les habitants du palais, ils seraient tous morts à l'heure actuelle, songea-t-elle en souriant.

Quant à la serrure ouvrant le réduit où son frère Antiochus cachait ses ouvrages pornographiques khajiits, elle se réduisait à deux misérables gorges et à une pathétique aiguille empoisonnée que l'on désarmait d'une simple pression sur le contrepoids. Elle avait été bien inspirée de l'ouvrir, celle-là. Étrange, tout de même, qu'il soit si aisé de faire chanter Antiochus, lui qui semblait pourtant n'avoir aucune pudeur. Potéma n'avait que douze ans et les différences existant entre les perversions des hommes-chats et celles des Cyrodiléens étaient pour ainsi dire inexistantes. Et pourtant, Antiochus avait accepté de lui donner la broche de diamant, qu'elle conservait comme un grand trésor.

Personne ne l'avait jamais attrapée, pas même lorsqu'elle s'était infiltrée dans le bureau d'un archimage pour lui dérober son plus vieux livre de sorts ou quand elle était entrée dans la chambre du roi de Gilane afin de lui subtiliser sa couronne la veille de la cérémonie d'accueil officielle de Magnus. Tourmenter sa famille de la sorte était désormais presque trop facile pour elle. Mais aujourd'hui... aujourd'hui, l'empereur avait besoin d'un document pour une entrevue cruciale. Il fallait qu'elle l'obtienne avant lui.

Sauf qu'elle ne s'était jamais attaquée à une serrure d'aussi bonne qualité. Elle caressa encore et encore les gorges, en écartant délicatement la partie mobile qui retombait sans cesse sur ses épingles. Il lui fallut près d'une demi-minute pour pénétrer dans la salle des registres, où les Parchemins des Anciens étaient conservés.

Les documents étaient parfaitement organisés par année, province et royaume, aussi Potéma n'eut-elle besoin que de quelques instants pour trouver la promesse de mariage signée entre Galana, fille d'Uriel Septim II, empereur du saint empire cyrodiléen de Tamriel par la grâce des dieux, et Sa Majesté le roi Mantiarco de Solitude. Elle s'en saisit, sortit et referma la porte bien avant l'arrivée du page.

De retour dans la salle de bal, elle déplaça de nouveau la pierre et recommença à écouter attentivement la conversation. Pendant quelques minutes, les trois hommes se contentèrent de discuter du temps qu'il faisait et de détails diplomatiques particulièrement ennuyeux. Puis des bruits de pas se firent entendre, aussitôt suivis de la voix du page.

" Votre Majesté Impériale, j'ai fouillé la salle des registres en tous sens, mais sans parvenir à trouver le document que vous m'avez envoyé chercher.

- Ah, vous voyez, intervint le père de Potéma. Je savais bien qu'il n'existait pas.

- Mais je l'ai vu de mes yeux ! protesta le Nordique, furieux. J'étais là quand mon seigneur et l'empereur l'ont signé. J'étais là !

- J'espère que vous ne mettez pas en doute la parole de mon père, empereur souverain de la totalité de Tamriel, maintenant qu'il apparaît que vous vous êtes... trompé, siffla Pélagius.

- Bien sûr que non, concéda nerveusement l'ambassadeur. Mais que vais-je pouvoir dire à mon roi ? Que son entrée par alliance matrimoniale dans la famille impériale est annulée et que son or ne lui sera pas remboursé, contrairement à ce que l'accord... contrairement à ce que nous pensions, lui et moi ?

- Nous ne voudrions surtout pas de mésentente entre nous et le royaume de Solitude, intervint l'empereur d'une voix faible mais parfaitement audible. Et si nous offrions au roi Mantiarco la main de notre petite-fille ? "

Potéma se sentit soudain glacée.

" La princesse Potéma ? demanda le Nordique. N'est-elle pas trop jeune ?

- Elle a treize ans, rétorque Pélagius. C'est bien assez pour se marier.

- Elle ferait une épouse idéale pour votre roi, renchérit l'empereur. Je reconnais qu'elle est encore timide et innocente, mais je ne doute pas qu'elle apprendra bien vite à se comporter à la cour ; le sang des Septim coule dans ses veines, après tout. Je suis certain qu'elle ferait une excellente reine de Solitude. Elle n'est peut-être pas très excitante, mais elle est noble.

- La petite-fille de l'empereur n'est pas aussi proche de lui que sa fille, protesta faiblement le Nordique. Mais je ne vois comment nous pourrions refuser. Je vais prévenir mon roi.

- Vous pouvez vous retirer ", fit l'empereur, et Potéma entendit le Nordique quitter la salle d'entretien.

La jeune fille se mit à pleurer. Ses études lui avaient appris qui était le roi de Solitude : Mantiarco, un homme gras de soixante-deux ans. Et elle savait également que Solitude se trouvait bien loin au nord, là où il faisait toujours froid. Son père et son grand-père avaient décidé de la donner à ces barbares de Nordiques ! Mais ils n'en avaient pas fini.

" Tu t'es montré très convaincant, petit, dit Pélagius. Et maintenant, va brûler ce document sans attendre.

- Mon prince ? demanda le page sur un ton incertain.

- L'accord entre l'empereur et le roi de Solitude, espèce de crétin. Il ne faudrait pas que son existence soit connue des Nordiques.

- Mais j'ai dit la vérité, mon prince. Je n'ai pas réussi à le trouver dans la salle des registres. Il a apparemment disparu.

- Par Lorkhan ! s'emporta Pélagius. Pourquoi tout disparaît-il sans cesse dans ce palais ? Retourne à la salle des registres et cherche jusqu'à ce que tu trouves ! "

Potéma lut le document qu'elle avait entre les mains. L'empire avait promis plusieurs millions de pièces d'or au royaume de Solitude au cas où le mariage entre son roi et la princesse Galana ne se ferait pas. Si elle le ramenait à son père, peut-être annulerait-il le mariage en guise de remerciement. Mais peut-être pas. D'un autre côté, elle avait désormais la possibilité de s'enrichir en faisant chanter son père et son grand-père. À moins qu'elle ne ressorte le document une fois devenue reine de Solitude, ce qui lui permettrait de remplir ses coffres et de pouvoir acheter tout ce qu'elle voulait. Bien plus qu'un katana daedrique, en tout cas.

Les possibilités étaient innombrables. D'un seul coup, Potéma ne se sentit plus du tout désœuvrée.

Livre deux

De la plume de Montocaï, Sage du premier siècle de l'ère Troisième :

3E 82

Un an après le mariage de sa petite-fille de quatorze ans au roi Mantiarco du royaume nordique de Solitude, l'empereur Uriel Septim II rendit l'âme aux dieux. Son fils Pélagius Septim II monta sur le trône et se retrouva à la tête d'une trésorerie exsangue, en raison de la mauvaise gestion de son père.

Quant à Potéma, nouvelle reine de Solitude, elle devait affronter les Maisons nordiques qui la considéraient comme une étrangère. Mantiarco était veuf et sa première reine était aimée de tous. Elle lui avait donné un fils, le prince Bathorgh, lequel avait deux ans de plus que sa belle-mère, qu'il n'appréciait guère. Mais le vieux roi aimait sa nouvelle reine, qu'il garda à son côté malgré une succession de fausses couches, jusqu'à sa vingt-neuvième année où elle lui donna un fils.

3E 97

" Faites quelque chose pour atténuer la douleur ! ", s'écria Potéma, toutes dents dehors.

Kelmeth le guérisseur eut l'impression de se trouver face à une louve mettant bas, mais il se força à chasser cette image de son esprit. Certes, les ennemis de sa souveraine l'appelaient la Reine-Louve mais, physiquement, elle ne ressemblait en rien à cet animal.

" Vous n'avez aucune blessure que je puisse soigner, Majesté, tenta-t-il de lui expliquer. Cette douleur est naturelle, souhaitable même pour le bon déroulement de la naissance. "

Il s'apprêtait à ajouter de nouvelles paroles d'encouragement, mais dut se baisser précipitamment pour éviter le petit miroir qu'elle venait de lui jeter au visage.

" Je ne suis pas une paysanne aux pieds lourds ! siffla-t-elle. Je suis reine de Solitude et la fille de l'empereur. Appelez les Daedra et, s'il le faut, vendez l'âme de tous mes sujets en échange d'un peu de réconfort !

- Il n'est pas sage de prononcer de telles paroles, même pour plaisanter, ma dame, répondit-il nerveusement, tirant les tentures pour la protéger des rayons du soleil. Les oreilles du Grand Oubli sont toujours à l'affût de telles imprudences.

- Et que savez-vous du Néant [sic], guérisseur ? rétorqua-t-elle avant de se calmer, la douleur s'atténuant subitement. Voulez-vous me ramasser le miroir que je viens juste de lancer ?

- Est-ce pour pouvoir me le jeter de nouveau, Majesté ? obéit-il avec un sourire forcé.

- Très certainement, reconnut-elle en contemplant son reflet. Et la prochaine fois, je ne raterai pas. Le seigneur Vhökken m'attend-il toujours dans la salle du trône ?

- Oui, Majesté.

- Dans ce cas, dites-lui que je pourrai le recevoir dès que je me serai recoiffée. Et laissez-nous. Je crierai si la souffrance revient.

- Certainement, Majesté. "

Quelques minutes plus tard, le seigneur Vhökken fut introduit dans les quartiers de Potéma. Il était chauve et si énorme que ses amis comme ses ennemis le surnommaient Mont Vhökken et, quand il s'exprimait, on avait l'impression d'entendre gronder le tonnerre. La souveraine était l'une des rares personnes qu'il n'intimidât point et il se risqua à lui sourire.

" Comment vous sentez-vous, ma reine ? demanda-t-il.

- Maudite par les dieux. Mais vous, vous vous comportez comme si le printemps était arrivé au Mont Vhökken. À votre pied léger, j'imagine que vous avez été fait chef de guerre.

- Cela n'est que temporaire, le temps que votre époux le roi mène l'enquête afin de déterminer si les rumeurs de trahison accusant mon prédécesseur, le seigneur Thone, sont fondées ou non.

- Si vous avez bien semé vos preuves comme je vous l'ai dit, mon mari les trouvera, l'assura Potéma en se redressant dans son lit. Dites-moi, le prince Bathorgh se trouve-t-il toujours en ville ?

- Quelle question, Majesté, répondit Vhökken. Le tournoi d'endurance a lieu aujourd'hui et vous savez bien que le prince ne le manquerait pour rien au monde. Chaque année, il invente de nouveaux modes de défense afin de pouvoir faire le fanfaron devant l'assemblée. Ne vous souvenez-vous pas comment il est entré dans l'arène sans armure l'an dernier, pour en ressortir sans la moindre égratignure après avoir affronté six escrimeurs vingt minutes durant ? Il avait dédié son exploit à sa mère, la reine Amodétha.

- Je m'en souviens, en effet.

- C'est vrai que nous ne l'apprécions guère ni vous ni moi, Majesté, mais il inspire tout de même le respect. Il est aussi vif que l'éclair. Personne ne fait jamais attention à lui et il utilise toujours sa gaucherie à son avantage, en désarçonnant ses adversaires. D'aucuns prétendent qu'il tient cela des Orques du sud. Ils affirment que c'est d'eux qu'il a appris à anticiper les attaques de ses ennemis, comme s'il détenait un pouvoir surnaturel.

- Il n'y a rien de surnaturel en cela, répondit calmement la reine. Il le tient de son père.

- Mantiarco n'a jamais été aussi vif, lui fit remarquer Vhökken en gloussant.

- Je n'ai jamais dit le contraire, fit Potéma en serrant les dents. La douleur revient. Je vais vous demander d'aller chercher mon guérisseur, mais d'abord, répondez à ma question : la construction du nouveau palais d'été a-t-elle commencé ?

- Je pense que oui, Majesté.

- Ne pensez pas ! s'écria-t-elle en se mordant la lèvre jusqu'au sang. Agissez ! Assurez-vous que la construction démarre aujourd'hui même. Votre avenir, le mien et celui de mon enfant en dépendent. Allez ! "

Quatre heures plus tard, le roi entra dans la pièce pour voir son fils. Épuisée, sa reine lui adressa un petit sourire alors qu'il l'embrassait sur le front. Il se mit à pleurer quand elle lui tendit l'enfant.

" Mon seigneur, fit-elle affectueusement. Je sais que vous êtes sentimental mais, tout de même...

- Ce n'est pas seulement le nouveau-né, bien qu'il soit aussi beau que sa mère, répondit Mantiarco, les traits creusés par la douleur. Il y a eu un drame au palais, ma chère épouse. En réalité, cette naissance est bien la seule chose qui fasse que ce jour ne soit pas le plus noir de mon règne.

- Qu'y a-t-il ? voulut savoir Potéma tout en s'asseyant dans son lit. Est-ce le tournoi ? Bathorgh ?

- Ce n'est pas le tournoi, non, mais c'est en effet en rapport avec Bathorgh. Mais je ne devrais pas vous importuner à un tel moment. Vous avez besoin de repos.

- Dites-moi, mon époux !

- Je voulais vous faire une surprise à la naissance de notre fils, aussi ai-je totalement fait rénover l'ancien palais d'été. C'est un lieu enchanteur ou du moins l'était-ce. Je pensais qu'il vous plairait. À la vérité, l'idée est du seigneur Vhökken. C'était l'endroit préféré d'Amodétha... et je sais désormais pourquoi, ajouta-t-il amèrement.

- Qu'avez-vous appris ?

- Amodétha m'y trompait avec le seigneur Thone, en qui j'avais toute confiance. Ils s'échangeaient des lettres, plus abominables que vous ne pourriez concevoir. Et ce n'est pas le pire...

- Non ?

- Les dates des lettres correspondent à la naissance de Bathorgh, le garçon que j'ai élevé et aimé comme un fils... alors qu'il était de Thone, pas de moi, acheva-t-il, la voix brisée par l'émotion.

- Mon pauvre aimé ", le consola Potéma, qui en conçut presque de la peine pour lui.

L'entourant de ses bras, elle le laissa pleurer à chaudes larmes contre son épaule.

" À partir d'aujourd'hui, Bathorgh n'est donc plus mon héritier, reprit enfin le roi. Il sera banni du royaume et c'est le fils que vous venez de me donner qui me succédera sur le trône de Solitude.

- Et qui sait s'il s'arrêtera là, ajouta Potéma. C'est aussi le petit-fils de l'empereur.

- Nous le nommerons Mantiarco II.

- Ce serait une merveilleuse idée, mon époux, dit la jeune femme en embrassant le visage baigné de larmes de son époux. Mais pourrais-je suggérer Uriel, en l'honneur de mon grand-père l'empereur, grâce à qui nous nous sommes connus ? "

Le roi sourit et hocha la tête. À ce moment, on frappa à la porte.

" Mon seigneur, fit le Mont Vhökken en entrant, sa grandeur le prince Bathorgh vient de terminer le tournoi. Il vous attend pour que vous lui remettiez sa récompense. Il a réussi à éviter les attaques de neuf archers et du scorpion géant que nous avions fait venir tout spécialement de Martelfell. La foule n'arrête pas de scander son nom. On l'appelle déjà l'homme que rien ne peut atteindre.

- Je me charge de lui, répondit tristement Mantiarco en quittant la pièce.

- Oh ! Il est possible de le toucher, murmura Potéma. À condition de ne pas ménager ses efforts... "

Livre trois

De la plume de Montocaï, sage du premier siècle de l'ère Troisième :

3E 98

L'empereur Pélagius Septim II mourut quelques semaines avant la fin de l'année, le 15 soirétoile, durant le festival du Vent du Nord, ce qui fut aussitôt considéré comme un mauvais signe pour la pérennité de l'empire. Les dix-sept années de règne de Pélagius avaient été extrêmement difficiles. Afin de renflouer ses caisses, il avait renvoyé les membres du Conseil des Anciens avant de les obliger à racheter leur poste au prix fort. Ce faisant, les conseillers les moins fortunés avaient été perdus pour l'empire, et beaucoup prétendirent par la suite que Pélagius avait, en fait, été empoisonné par un conseiller revanchard.

Les enfants de l'empereur vinrent au palais pour assister à ses funérailles et au couronnement de son successeur. Son plus jeune fils, le prince Magnus, qui n'était âgé de 19 ans, arriva d'Almalexia, où il tenait le poste de conseiller du roi. Le prince Céphorus, 21 ans, vint quant à lui de Gilane avec son épouse rougegarde, la reine Biank-i. Enfin, le prince Antiochus, 43 ans et héritier présumé, se trouvait déjà aux côtés de son père dans la cité impériale. La dernière arrivée fut Potéma, surnommée Reine-Louve de Solitude. Belle et radieuse du haut de ses 30 ans, elle s'était fait accompagner d'un magnifique entourage, comprenant son époux, le vieillissant roi Mantiarco, et son fils d'un an, Uriel.

Tout le monde s'attendait à ce qu'Antiochus monte sur le trône, mais nul ne savait comment réagirait la Reine-Louve.

3E 99

" Le seigneur Vhökken a fait amener plusieurs hommes aux quartiers de votre sœur chaque nuit de la semaine, rapporta le maître-espion. Si son époux l'apprenait, peut-être...

- Ma sœur est une dévouée fidèle de Réman et Talos, les dieux conquérants, pas de Dibella, la déesse de l'Amour. Si elle reçoit ces hommes, c'est pour comploter, pas pour organiser des orgies. Je parie que j'ai dû coucher avec davantage d'hommes qu'elle, plaisanta Antiochus avant de retrouver tout son sérieux. Je sais que c'est à cause d'elle si le Conseil a décidé de retarder mon accession au pouvoir. Six semaines, et tout cela parce que les conseillers prétendent avoir besoin de mettre les registres à jour en prévision du couronnement. Je suis l'empereur ! Qu'on me remette la couronne et au Néant [sic] les formalités !

- Votre sœur n'est certes pas votre amie, Majesté, mais d'autres facteurs entrent en jeu. N'oubliez pas la façon dont votre père a traité le Conseil. Ce sont ses membres qui ont besoin d'être convaincus... par la manière forte, si besoin, ajouta le maître-espion tout en caressant le manche de sa dague.

- D'accord. Faites ce qui doit être fait, mais gardez aussi cette maudite Reine-Louve à l'œil. Vous savez où me trouver.

- À quelle maison de tolérance, Majesté ?

- La Chatte et le Gobelin, comme chaque fredas soir. "

Cette nuit-là, le maître-espion nota dans son rapport que la reine Potéma ne reçut aucune visite, car elle dînait au Palais bleu en compagnie de sa mère, l'impératrice Quintilla. Il faisait chaud pour une soirée d'hiver et le ciel était étonnamment dégagé après l'importante couverture nuageuse de la journée. Le sol gorgé de pluie ne pouvait plus en absorber davantage, à tel point que le jardin semblait recouvert d'eau. Les deux femmes prirent un verre de vin en terrasse.

" J'ai la nette impression que tu es en train d'essayer de saboter l'accession au trône de ton demi-frère ", dit soudain Quintilla.

Se tournant vers elle, Potéma constata une fois encore que le passage des ans n'avait pas ridé le visage de sa mère ; il semblait lui avoir fait perdre teint et substance.

" C'est faux, protesta-t-elle. Mais cela vous dérangerait-il beaucoup si c'était vrai ?

- Antiochus n'est pas mon fils. Il avait onze ans quand j'ai épousé ton père et nous n'avons jamais été proches. Je crois que son statut d'héritier présumé a contrarié son développement. Il est en âge d'avoir une famille et des enfants adolescents, et pourtant il gaspille son temps en débauche et en fornication. Il ne fera pas un bon empereur, soupira Quintilla. Mais il n'est pas bon pour la famille de semer la discorde. Il est aisé de se diviser, mais bien plus difficile de se réunir par la suite. Je crains pour l'avenir de l'empire.

- Que voilà de sombres paroles ! Seriez-vous mourante, mère ?

- Je sais lire les signes, rétorqua Quintilla avec un petit sourire ironique. N'oublie pas que j'étais une ensorceleuse de renom à Camlorn. Je mourrai d'ici quelques mois et ton époux me suivra moins d'un an plus tard. Je regrette seulement de ne pas vivre assez longtemps pour voir ton fils Uriel monter sur le trône de Solitude.

- Savez-vous s'il... "

Potéma s'interrompit brusquement. Elle ne tenait pas à révéler ses plans trop vite, même à une mourante.

" S'il sera un jour empereur ? Oui, cela aussi, je le sais. Mais ne crains rien, tu connaîtras toi aussi la réponse de ton vivant. Tiens, voilà un cadeau pour lui quand il sera devenu un homme, dit-elle en détachant un collier serti d'une grosse pierre précieuse jaune qu'elle portait autour du cou. Ceci est une gemme spirituelle, renfermant l'esprit d'un puissant loup-garou que ton père et moi avons vaincu voici trente-six ans. Je l'ai enchantée de sorts de l'école de l'Illusion, afin que son porteur puisse charmer qui il souhaite... ce qui est très important pour un roi.

- Et un empereur, ajouta Potéma en acceptant le bijou. Merci, mère. "

Une heure plus tard, alors qu'elle passait à côté des branches obscures des buissons du jardin, elle aperçut une silhouette sombre qui se fondit dans l'ombre à son approche. Elle avait déjà remarqué qu'on la suivait, ce qui n'était guère surprenant à la cour impériale. Mais cet homme se trouvait trop près de ses quartiers. Elle attacha prestement le collier autour de son cou.

" Approchez vous de la lumière, que je puisse vous voir ! " commanda-t-elle.

L'homme qui s'exécuta était petit, d'âge mûr et vêtu d'une tenue en peau de chèvre teinte en noir. Ses pupilles restaient fixes, enchanté qu'il était par le sortilège.

" Pour qui travaillez-vous ? voulut-elle savoir.

- Le prince Antiochus est mon maître, répondit l'autre d'une voix dénuée d'inflexion. Je suis son espion. "

Un plan germa dans l'esprit de Potéma.

" Le prince se trouve-t-il dans son bureau ?

- Non, madame.

- Et possédez-vous le moyen d'y entrer ?

- Oui, madame. "

Potéma se fendit d'un large sourire. Elle tenait son demi-frère.

" Je vous suis ", fit-elle.

Le lendemain matin, les orages reprirent de plus belle. La pluie tombant sans répit sur le plafond résonnait douloureusement sous le crâne d'Antiochus, qui découvrit bien malgré lui que son corps ne supportait plus aussi facilement les nuits de fêtes passées à boire. De fort mauvaise humeur, il donna une bourrade à la servante argonienne partageant sa couche.

" Rends-toi utile et va fermer la fenêtre ", geignit-il.

La jeune femme eut à peine le temps de s'exécuter que l'on frappa à la porte. C'était le maître-espion. Souriant au prince, il lui tendit un papier.

" Qu'est-ce que ceci ? demanda Antiochus en plissant les yeux. Je dois encore être saoul, on dirait de l'orque.

- Cela devrait vous être utile, Majesté. Votre sœur désire vous voir. "

Antiochus pensa un instant s'habiller et chasser sa compagne de nuit, puis se ravisa.

" Faites-la entrer, si elle a envie d'être choquée. "

Si Potéma fut scandalisée de le voir ainsi, elle ne le montra pas. Parée d'une robe en soie orange et argent, elle entra avec un sourire triomphateur, suivie du colossal seigneur Vhökken.

" Mon cher frère, j'ai parlé avec mère la nuit dernière, et elle m'a donné un excellent conseil. Elle m'a dit qu'il ne fallait pas que je t'affronte en public, pour le bien de notre famille et de notre empire. C'est pourquoi je suis venue t'offrir un choix, conclut-elle en tirant un papier de sa robe.

- Un choix ? répéta Antiochus en lui rendant son sourire. Voilà qui est amical de ta part.

- Abdique volontairement et je n'aurai pas besoin de montrer cette lettre au Conseil, poursuivit Potéma en lui tendant la feuille. Comme tu peux le voir, elle porte ton sceau et explique que tu savais que ton père n'était pas Pélagius Septim II, mais le maître de cérémonie, Fondoukth. Avant que tu ne nies avoir écrit cela, tu ne pourras rien faire contre les rumeurs, ni contre le fait que les membres du Conseil croiront forcément que ton vieux fou de père était tout à fait capable d'être cocu. Que cette lettre soit authentique ou qu'il s'agisse d'un faux, le scandale qu'elle déclenchera annihilera définitivement tes chances de devenir empereur. "

Antiochus était livide de rage.

" Ne crains rien, grand frère, continua Potéma en lui prenant le papier des mains. Je veillerai à ce que tu mènes une existence confortable, avec toutes les catins que ton cœur et tout autre de tes organes pourraient désirer. "

Antiochus partit soudain d'un grand éclat de rire et fit un clin d'œil à son maître-espion.

" Je me souviens du temps où tu m'as fait chanter après avoir découvert mes ouvrages érotiques khajiits. C'était il y a près de vingt ans, mais tu as dû remarquer que nous avons de bien meilleures serrures, désormais. Tu as dû être verte de rage en constatant que tes dons ne te permettaient plus d'obtenir ce que tu voulais. "

Potéma se contenta de sourire. Cela n'avait pas d'importance. Il était en son pouvoir, désormais.

" Tu as dû charmer mon serviteur ici présent pour entrer dans mon bureau et mettre la main sur mon sceau. Grâce à un sortilège que tu tiens de ta sorcière de mère, peut-être ? "

Potéma souriait toujours. Son frère était plus intelligent qu'elle ne l'aurait cru.

" Mais savais-tu également que les sorts de charme, aussi puissants soient-ils, ne durent qu'un temps ? Bien sûr que non : la magie ne t'a jamais intéressée. Dans ce cas, laisse-moi te dire qu'un salaire extrêmement généreux constitue une bien meilleure motivation pour garder un serviteur à long terme, lui expliqua Antiochus en sortant le papier que le maître-espion lui avait remis avant l'arrivée de sa sœur. Et maintenant, j'ai moi aussi un marché à te proposer.

- Qu'est-ce que ceci ? demanda Potéma en perdant toute envie de sourire.

- Cela a l'air de gribouillages, sauf si l'on sait ce que l'on cherche. À y regarder de plus près, on s'aperçoit que quelqu'un s'est servi de cette feuille pour s'entraîner à copier mon écriture. Pour cela aussi, tu es douée. Je me demande si tu l'as déjà fait précédemment. Je me suis laissé dire que l'on avait retrouvé une lettre écrite de la main de la première épouse de ton mari et révélant que son premier fils était un bâtard. Je me demande si ce n'est pas toi qui l'aurais rédigée, celle-là aussi. À ton avis, qu'en penserait ton époux de roi si je venais à lui montrer la preuve de tes talents ? À l'avenir, chère petite sœur, pense à ne jamais tendre deux fois le même piège. "

La Reine-Louve secoua violemment la tête. La fureur l'empêchait de parler.

" Donne-moi ton faux et va faire un tour sous la pluie, poursuivit Antiochus. Et quand tu reviendras, range tous les autres complots que tu avais mis en marche pour m'empêcher de monter sur le trône. C'est moi qui serai le prochain empereur, Reine-Louve. Et maintenant, hors de ma vue. "

Potéma lui tendit la lettre et sortit. Une fois dans le couloir, elle resta longtemps immobile, comme hypnotisée par le filet d'eau coulant d'une fissure presque invisible dans le mur de marbre.

" D'accord, tu le seras, frère, concéda-t-elle. Mais pas pour longtemps... "

Livre quatre

De la plume de Montocaï, sage du premier siècle de l'ère Troisième :

3E 109

Dix ans après avoir été couronné empereur de Tamriel, Antiochus Septim n'avait toujours pas réussi à impressionner ses sujets, sauf pour ce qui était de son insatiable appétit pour les plaisirs charnels. Gysilla, sa seconde épouse, lui avait donné une fille en l'an 104, nommée Kintyra en l'honneur de l'impératrice son arrière-arrière-arrière-grand-tante. D'une obésité extrême et affecté par toutes les maladies vénériennes connues, Antiochus ne s'intéressait guère à la politique, domaine dans lequel ses frères et sa sœur excellaient. Magnus avait ainsi épousé Hellena, reine cyrodiléenne de Lilmoth, et représentait admirablement les intérêts du Marais noir après que le prêtre-roi argonien eût été exécuté. De leur côté, Céphorus et sa femme Biank-i gouvernaient le royaume de Gilane en Martelfell et avaient de nombreux héritiers. Mais nul n'était plus actif sur le plan politique que Potéma, Reine-Louve de Solitude en Bordeciel.

Neuf ans après le décès de son époux, le roi Mantiarco, Potéma occupait toujours le statut de régente pour son jeune fils, Uriel. Sa cour était devenue très à la mode, et l'on y retrouvait un grand nombre de dirigeants ayant des reproches à faire à l'empereur. Tous les rois de Bordeciel se rendaient périodiquement à Castel-Solitude et, au fil des ans, des émissaires venus des provinces de Morrowind et de Hauteroche commencèrent à les imiter. Certains invités venaient de plus loin encore.

3E 110

Potéma observa l'arrivée du navire originaire de Pyandonée depuis les quais. Il n'avait guère l'air exotique sur fond de houle grise, et ce malgré l'aspect insectoïde que lui conféraient ses voiles membraneuses et sa coque d'acier chitineux ; elle avait en effet déjà vu de tels bâtiments en Morrowind. N'était son drapeau, si différent des autres, elle n'aurait su le différencier du reste des bateaux navigant dans la rade. Alors que la brume salée tourbillonnait lentement autour d'elle, elle leva la main en signe de bienvenue à l'adresse de ces visiteurs natifs d'un autre empire îlien.

Les hommes d'équipage n'avaient pas le teint pâle, mais totalement dénué de couleur, comme si leur chair était constituée d'une gelée limpide. Mais Potéma avait été prévenue à l'avance. Voyant descendre le roi et son interprète, elle regarda le monarque droit dans les yeux et lui tendit la main. Il répondit dans une langue inconnue.

" Sa grande Majesté le roi Orgnum s'émerveille devant votre beauté et vous remercie de lui offrir refuge dans ces mers agitées, traduisit l'interprète d'une voix hachée.

- Vous parlez très bien le cyrodilique, le félicita Potéma.

- Je parle couramment les langues des quatre continents, répondit-il. Cela me permet de communiquer avec les habitants de ma Pyandonée natale, ainsi qu'avec ceux d'Atmora, d'Akavir et, bien sûr, de Tamriel. Mais il est vrai que votre langage est le plus aisé de tous. J'attendais ce voyage avec impatience.

- Je vous en prie, dites à Sa Majesté qu'elle est la bienvenue ici et que je suis à son entière disposition, fit Potéma en souriant. Vous comprenez le contexte, j'espère ? Il ne s'agit là que de simple politesse de ma part.

- Bien sûr. "

L'interprète se tourna vers son roi pour lui parler et le souverain sourit à son tour. Alors que les deux hommes discutaient, Potéma inspecta les quais et remarqua les désormais familières capes grises qui la surveillaient tout en conversant avec Levlet, le serviteur d'Antiochus. L'Ordre des Psijiques de l'archipel de l'Automne. Quelle plaie !

" Mon émissaire diplomatique, le seigneur Vhökken, va vous montrer vos quartiers, reprit-elle à l'attention de l'interprète. Malheureusement, j'ai d'autres invités qui requièrent eux aussi mon attention. J'espère que Sa Majesté comprendra. "

Le roi Orgnum comprit fort bien et Potéma planifia son dîner du soir avec les Pyandonéens. En attendant, rencontrer l'Ordre des Psijiques nécessitait toute sa concentration. S'habillant d'une simple robe noire et or, elle alla se préparer à l'affrontement dans la salle du trône. Son fils Uriel était là, assis, qui jouait avec son petit joughat.

" Bonjour, maman.

- Bonjour, chéri, répondit Potéma en le soulevant avec une difficulté feinte. Talos, que tu es lourd ! Je ne crois pas avoir jamais porté de garçon de dix ans pesant autant que toi.

- C'est sans doute parce que j'ai onze ans, rétorqua Uriel, qui connaissait parfaitement sa mère. Et tu vas bien sûr me dire que, dans ce cas, je devrais être avec mon tuteur.

- À ton âge, je ne cessais d'étudier.

- Mais je suis roi, protesta Uriel d'un ton boudeur.

- Cela ne doit surtout pas te satisfaire. Tu devrais déjà être empereur de droit. Tu en es conscient, n'est-ce pas ? "

Uriel hocha la tête et Potéma s'étonna une fois encore de la ressemblance existant entre son fils et les portraits de Tiber Septim. Tous deux avaient le même front implacable, le même menton affirmé. Une fois qu'il aurait perdu ses joues de bébé, Uriel serait le portait craché de son aïeul. Potéma entendit la porte s'ouvrir derrière elle et un serviteur fit entrer plusieurs individus vêtus de capes grises. Elle se raidit imperceptiblement et Uriel sauta du trône pour quitter la pièce en courant, ne s'arrêtant qu'un instant pour saluer le plus important des Psijiques.

" Bonjour, maître Iachésis, fit-il avec un ton de voix qui emplit de fierté le cœur de Potéma. J'espère que les quartiers qui vous ont été alloués sont à votre convenance.

- Pleinement, roi Uriel, je vous en remercie. "

Iachésis et ses Psijiques entrèrent tandis que la porte se refermait derrière eux. Potéma s'assit quelques secondes sur le trône avant de se lever pour accueillir ses invités.

" Je regrette de vous avoir fait attendre, leur dit-elle. Quand je pense que vous venez de l'archipel de l'Automne et que je n'ai pu vous recevoir de suite. J'espère que vous me pardonnerez.

- Le voyage n'est pas si long, répondit l'un des hommes sans parvenir à cacher sa colère. Ce n'est pas comme si nous venions de Pyandonée.

- Ah, je vois que vous avez aperçu mes autres invités, le roi Orgnum et sa cour, fit Potéma d'un air de ne pas y toucher. Sans doute trouvez-vous étrange que je les accueille alors que nous savons tous qu'ils ont l'intention d'envahir Tamriel. Mais vous êtes sans doute aussi neutres à ce sujet que pour toutes les autres questions de politique, j'imagine ?

- Bien sûr, répondit fièrement Iachésis. Nous n'avons rien à perdre ou à gagner si les Pyandonéens nous envahissent. L'Ordre des Psijiques existait déjà avant que la dynastie Septim n'unifie Tamriel et nous subsisterons sous quelque régime politique que ce soit.

- Vous êtes comme la puce qui s'accroche à tout bâtard de passage, n'est-ce pas ? dit la Reine-Louve en plissant les paupières. N'ayez pas une trop haute opinion de vous-mêmes, Iachésis. Le rejeton de votre ordre, la guilde des Mages, est deux fois plus puissant que vous et s'est rangé de mon côté à l'unanimité. Nous sommes sur le point de signer un accord avec le roi Orgnum. Quand les Pyandonéens auront pris le pouvoir et m'auront mise sur le trône d'impératrice qui me revient de droit, je veillerai à ce que vous soyez remis à votre place. "

Elle quitta la pièce d'une démarche fière, laissant les capes grises se lancer des regards incertains.

" Nous devrons aller voir le seigneur Levlet, avança l'un des hommes.

- Peut-être bien, oui ", concéda Iachésis.

Ils trouvèrent Levlet à l'endroit habituel, la taverne de la Lune nauséeuse. Toutes les conversations se turent brusquement lorsque les trois Psijiques entrèrent dans l'établissement. Même la fumée et l'odeur du tabac semblèrent se dissiper à leur arrivée. Levlet se leva et les escorta jusqu'à une petite pièce de l'étage.

" Vous êtes revenus sur votre position, attaqua-t-il avec un large sourire.

- Votre empereur... pardon, notre empereur a demandé notre soutien pour l'aider à défendre la côte occidentale de Tamriel contre la flotte pyandonéenne en échange de douze millions de pièces d'or, répondit Iachésis. Nous lui avions demandé cinquante millions mais, en réfléchissant au danger posé par une invasion pyandonéenne, nous avons finalement décidé d'accepter son offre.

- La guilde des Mages a généreusement...

- Nous sommes même prêts à descendre à dix millions ", le coupa hâtivement Iachésis.

Au cours du dîner, Potéma promit au roi Orgnum de soulever une insurrection contre son frère, comblée de constater qu'elle savait mentir de façon tout aussi convaincante en présence d'interlocuteurs d'une culture autre que la sienne. Cette nuit-là, elle accueillit le roi Orgrum dans son lit afin de sceller leur accord et, à sa grande surprise, il se révéla être l'un des meilleurs amants qu'elle eût jamais connus. Avant leur union, il lui fit mâcher des herbes qui la transportèrent et lui donnèrent l'impression qu'elle flottait à la surface du temps. Elle eut la sensation qu'elle était la brume rafraîchissante, éteignant encore et encore les feux que le désir faisait naître en l'homme. Au matin, quand il l'embrassa sur la joue en lui disant qu'il devait la quitter, elle en éprouva un vif regret.

Le navire repartit le lendemain matin. Alors qu'elle le saluait de grands gestes du bras, Potéma entendit un bruit de pas derrière elle. C'était Levlet.

" Les Psijiques acceptent pour huit millions, majesté, lui dit-il.

- Mara soit louée, répondit-elle. J'ai besoin de temps pour planifier l'insurrection. Payez l'Ordre à partir de ma propre trésorerie puis allez réclamer les douze millions à Antiochus. Cela devrait nous permettre de réaliser un joli profit, et vous aurez bien évidemment droit à votre part. "

Trois mois plus tard, Potéma apprit que la flotte pyandonéenne avait été éradiquée par une tempête imprévue au large de l'île d'Artaeum, berceau de l'Ordre des Psijiques. Le roi Orgnum avait péri et ses navires avaient sombré jusqu'au dernier.

" Il est des fois où la meilleure façon de s'enrichir revient à faire en sorte que les gens vous haïssent ", expliqua-t-elle à son fils en le serrant contre son sein.

Livre cinq

De la plume d'Inzolicus, sage du deuxième siècle de l'ère Troisième et élève de Montocaï :

3E 119

Antiochus Septim gouverna Tamriel vingt et une années durant, se montrant un grand empereur malgré une moralité plus que douteuse. Sa plus grande victoire fut la Guerre de l'Île, en l'an 110, au cours de laquelle la flotte impériale et la marine de l'archipel de l'Automne, aidées par les pouvoirs magiques de l'Ordre des Psijiques, envoyèrent l'armada pyandonéenne par le fond. Durant son règne, ses deux frères, Magnus, roi de Lilmoth et Céphorus, roi de Gilane, et sa sœur Potéma, Reine-Louve de Solitude, gouvernèrent bien et les relations s'améliorèrent grandement entre l'empire et ses divers royaumes. Mais plusieurs siècles de mauvaises relations avaient laissé des traces indélébiles entre l'empire et les rois de Hauteroche et de Bordeciel...

Au cours de l'une des rares visites de sa sœur et de son neveu Uriel, Antiochus, qui avait souffert de nombreuses maladies tout au long de sa vie, plongea dans un profond coma. De longs mois durant, il resta entre la vie et la mort tandis que le Conseil des Anciens préparait l'accession au trône de sa fille Kintyra, âgée de quinze ans.

3E 120

" Je ne peux pas épouser Kintyra, mère, protesta Uriel, davantage amusé qu'offensé par cette suggestion. C'est ma cousine directe. Et, de plus, elle est déjà fiancée à Modellus, l'un des membres du Conseil.

- Ne te comporte donc pas comme un bébé, rétorqua Potéma. Il y a un temps et un lieu pour être scandalisé par des considérations incestueuses. Mais tu as raison pour ce qui est de Modellus et nous n'avons pas intérêt à nous mettre le Conseil des Anciens à dos à un moment aussi critique. Que penses-tu de la princesse Rakma ? Tu as passé beaucoup de temps en sa compagnie à Farrun.

- Elle ne me dérange pas. Ne me dites pas que vous êtes intéressée par les détails salaces.

- Épargne-moi tes études d'anatomie, je te prie, grimaça sa mère. Mais serais-tu disposé à l'épouser ?

- Je pense, oui.

- Parfait. Dans ce cas, je m'occupe de tout, décida-t-elle en notant mentalement de s'en charger sans perdre de temps. Le roi Lléromo est un allié difficile et un mariage politique devrait nous permettre de conserver Farrun de notre côté, en cas de besoin. Quand auront lieu les funérailles ?

- Lesquelles ? Celles d'oncle Antiochus, vous voulez dire ?

- Évidemment, soupira Potéma. Tu connais quelqu'un d'autre de haut rang qui soit mort récemment ?

- J'ai croisé une bande de galopins rougegardes courant dans les couloirs, ce qui doit vouloir dire que Céphorus est là. Magnus étant arrivé hier, je suppose que la cérémonie ne saurait tarder.

- Il est donc temps que je m'adresse au Conseil ", fit Potéma en souriant.

Elle s'habilla en noir, délaissant ses vêtements colorés pour l'occasion ; il était en effet important qu'elle joue le rôle de la sœur éplorée. S'observant dans le miroir, elle dut bien reconnaître qu'elle faisait ses cinquante-trois ans. Une mèche argentée traversait sa chevelure auburn de part en part et les longs hivers froids et secs du nord du Bordeciel avaient tissé une toile de fines rides sur tout son visage. Mais elle savait qu'elle pouvait toujours faire fondre les cœurs quand elle souriait et inspirer la terreur lorsqu'elle fronçait les sourcils. Cela lui suffisait.

Le discours que Potéma tint devant le Conseil des Anciens reste un modèle pour les écoles de rhétorique.

Elle commença par les flatter en se rabaissant elle-même : " Mes augustes et sages amis membres du Conseil des Anciens, je ne suis qu'une petite reine de province, aussi ne puis-je que vous soumettre un problème auquel vous avez déjà sans doute réfléchi. "

Après avoir posé ces bases, elle vanta les mérites de l'empereur défunt, populaire malgré ses nombreux défauts : " C'était un vrai Septim et un grand guerrier, qui a réussi, avec votre assistance, bien sûr, à vaincre l'armada quasi invincible de Pyandonée. "

Elle ne tarda pas à en venir aux faits : " Malheureusement, l'impératrice Gysilla n'a rien fait pour réfréner les ardeurs charnelles de mon frère. En fait, les catins des pires quartiers de la cité ont connu moins d'amants qu'elle. Si elle avait été plus fidèle à son devoir d'impératrice, nous aurions désormais un véritable héritier digne de ce nom, et non ces bâtards stupides qui se prétendent rejetons de l'empereur. Tout le monde s'entend pour dire que la dénommée Kintyra serait en fait la fille de Gysilla et du capitaine de la Garde, mais qui sait si son père n'est pas en réalité un videur de fosse à purin ? Il est impossible d'en avoir la certitude, alors que tout le monde sait que mon fils Uriel est le dernier de la dynastie des Septim. Mes seigneurs, les princes de l'empire ne supporteront jamais qu'une bâtarde monte sur le trône, cela, je puis vous l'assurer. "

Enfin, elle finit sur une formule choc : " La postérité sera votre juge. Vous savez ce qu'il vous reste à faire. "

Le même soir, Potéma invita ses frères et leurs épouses dans la salle des cartes, qui était depuis toujours sa pièce préférée du palais impérial. Les murs s'ornaient de fresques splendides, bien que légèrement passées, montrant l'empire et les autres continents de monde : Aldméris, Atmora, Yokuda, Akavir et la Pyandonée. Au-dessus de la tête des convives, le dôme de verre fouetté par la pluie proposait une image déformée du ciel étoilé. La foudre tombait à intervalle irrégulier, créant des ombres étranges sur les murs.

" Quand vous adresserez-vous au Conseil ? voulut savoir Potéma alors que l'on servait le premier plat.

- Je ne suis pas sûr de le faire, répondit Magnus. Je ne pense pas avoir quoi que ce soit à dire.

- Quant à moi, je ne prendrai la parole qu'une fois le couronnement de Kintyra annoncé, fit Céphorus. Ce ne sera qu'une simple formalité, afin de l'assurer de mon soutien et de celui de Martelfell.

- Peux-tu vraiment parler au nom de la totalité de Martelfell ? demanda Potéma avec un sourire narquois. Tu dois être très populaire auprès des Rougegardes.

- Martelfell jouit d'une relation unique avec l'empire, intervint Biank-i, l'épouse de Céphorus. Depuis le traité de Stros M'kaï, il est clairement entendu que nous faisons partie de l'empire mais que nous ne sommes pas ses sujets.

- Je me suis laissée dire que, vous, vous aviez déjà parlé devant le Conseil ", dit à son tour la femme de Magnus.

Hellena était diplomate par nature mais, en tant que reine cyrodiléenne d'un royaume argonien, elle savait comment faire face à l'adversité.

" C'est exact, reconnut Potéma en savourant une fine tranche de jalfe braisé. Mais ce n'était qu'un bref discours, au sujet du couronnement.

- Notre sœur est une excellente oratrice, dit Céphorus.

- Tu es trop bon avec moi, répondit la Reine-Louve. Il y a des tas de choses que je fais mieux que m'exprimer en public.

- Quoi, par exemple ? s'enquit Biank-i en souriant.

- Peut-on savoir ce que tu leur as dit ? " s'inquiéta Magnus.

On frappa à la porte. Le majordome glissa quelques mots à l'oreille de Potéma, qui se leva en souriant.

" Simplement que je soutiendrai pleinement l'accession au pouvoir du successeur d'Antiochus, à condition que le Conseil face preuve de sagesse, répondit candidement Potéma en se dirigeant vers la porte, un verre de vin à la main. Qu'y a-t-il de mal à cela ? Et maintenant, pardonnez-moi, mais ma nièce Kintyra souhaite s'entretenir avec moi. "

Kintyra l'attendait dans le couloir, escortée par la garde impériale. Ce n'était encore qu'une enfant mais, à la réflexion, Potéma se souvint qu'à l'âge de sa nièce, elle-même était déjà mariée depuis deux ans à Mantiarco. Impossible de ne pas trouver de similitudes entre elles deux. Potéma se revoyait en Kintyra, dont la peau pâle semblait aussi froide que le marbre. Les yeux noirs de la jeune femme luirent brusquement de colère quand elle aperçut sa tante, mais elle se reprit bien vite et ses traits ne trahirent plus la moindre émotion, juste une grande présence impériale.

" Reine Potéma, dit-elle sereinement, le Conseil vient de m'informer que mon couronnement aurait lieu dans deux jours. Votre présence n'est pas la bienvenue lors de cette cérémonie. En conséquence, j'ai déjà donné ordre à vos serviteurs de refaire vos malles et une escorte vous raccompagnera chez vous dès ce soir. Ce sera tout. Adieu, ma tante. "

Potéma voulut répondre, mais Kintyra et ses gardes du corps firent volte-face, l'abandonnant sans autre formalité. La Reine-Louve les regarda partir puis revint dans la salle des cartes.

" Vous vouliez savoir ce que je fais mieux que discourir, chère belle-sœur ? siffla-t-elle méchamment à l'adresse de Biank-i. La guerre. "

Livre six

De la plume d'Inzolicus, sage du deuxième siècle de l'ère Troisième :

3E 120

Kintyra Septim II, fille d'Antiochus, fut couronnée impératrice le 3 semailles, à l'âge de 15 ans. Ses oncles Magnus et Céphorus, respectivement rois de Lilmoth et de Gilane, étaient présents à la cérémonie, mais sa tante Potéma, Reine-Louve de Solitude, avait été bannie de la cour. De retour en son royaume, la reine Potéma fomenta la rébellion qui entrerait dans l'histoire sous le nom de Guerre du Diamant rouge. Tous les rois et nobles désabusés dont elle s'était fait des alliés au fil des ans se joignirent à elle pour déclarer la guerre à la jeune impératrice.

Les premières attaques montées par les rebelles connurent un grand succès, l'armée impériale se retrouvant bien vite agressée au nord de la province de Hauteroche et dans toute celle de Bordeciel. Potéma et ses troupes s'abattirent sur Tamriel telle la peste, incitant le peuple à la révolte partout où elles passaient. À l'automne, le duc de Pointe-Glen, sur la côte de Hauteroche, envoya un message urgent à l'impératrice à laquelle il était fidèle : il avait besoin de renforts sans attendre, et Kintyra décida de prendre la tête de l'armée afin de motiver ses troupes.

3E 121

" Nous ignorons où ils se trouvent, admit le duc avec embarras. J'ai envoyé des éclaireurs dans tous les environs. J'imagine qu'ils ont dû se replier vers le nord en apprenant l'arrivée de votre armée.

- Je déteste avoir à le reconnaître, mais j'espérais les affronter, rétorqua Kintyra. J'ai la ferme intention de planter la tête de ma tante en haut d'une pique et de parader avec elle dans tout l'empire. Son fils Uriel campe avec son armée en bordure de la province impériale, comme pour mieux me narguer. Comment expliquez-vous leurs succès ? Sont-ils vraiment si puissants que cela, ou bien mes sujets me haïssent-ils ? "

Elle éprouvait une intense fatigue après de longs mois passés à lutter contre la boue de l'automne et de l'hiver. Son armée avait failli tomber dans une embuscade en traversant les monts de la Queue du Dragon. Le blizzard qui s'était abattu sur eux dans la baronnie de Dwynnen, lieu pourtant tempéré, était si inattendu qu'il avait sans doute été créé par l'un des magiciens ralliés à la cause de Potéma. Partout où la jeune impératrice se tournait, les manœuvres de sa manipulatrice de tante lui apparaissaient. Et aujourd'hui, alors qu'elle avait enfin l'opportunité d'affronter la Reine-Louve, il lui fallait encore patienter. Cela devenait insupportable.

" La terreur est sa meilleure arme, lui expliqua le duc. C'est aussi simple que cela.

- Il faut que je vous pose une question, fit Kintyra en espérant que la crainte qu'elle ressentait ne s'entendait pas dans sa voix. Vous qui avez vu son armée, est-il vrai qu'elle s'entoure de guerriers morts-vivants ?

- Non, c'est faux, mais nul doute qu'elle fait tout pour propager cette rumeur. Son armée attaque toujours la nuit, en partie pour des raisons stratégiques, mais d'abord et surtout afin que ses ennemis continuent de croire qu'elle bénéficie de l'appui des morts-vivants. Que je sache, elle n'a pas d'autres alliés surnaturels que les mages propres à toute armée.

- Ils attaquent de nuit, répéta Kintyra, pensive. Afin de nous faire croire qu'ils sont plus nombreux qu'ils ne le sont en réalité, j'imagine.

- Et de prendre position avant que nous n'ayons conscience de leurs déplacement, ajouta le duc. La Reine-Louve est passée maîtresse dans l'art d'attaquer par surprise. Si vous marchez vers l'est, vous pouvez être sûre qu'elle s'apprête à vous attaquer par le sud. Mais nous pourrons en discuter plus longuement demain matin. D'ici là, j'ai fait préparer les meilleures chambres du château pour vous et vos hommes. "

Assise dans ses quartiers, Kintyra écrivait une lettre au seigneur Modellus à la seule lueur d'une chandelle de suif. Elle espérait que leur union aurait lieu l'été prochain, dans le Palais bleu que sa grand-mère Quintilla avait tant aimé, mais la guerre ne le permettrait peut-être pas. Le regard de la jeune impératrice se perdit dans la cour et les rares arbres sans feuilles qui y poussaient. Deux gardes avaient été postés sur les remparts, distants de quelques mètres. Tout comme elle et Modellus, pensa-t-elle en commençant à coucher sa métaphore sur le papier.

On frappa brusquement à la porte.

" Une lettre du seigneur Modellus, Majesté ", lui dit le jeune messager en lui tendant un papier.

La missive était brève, et elle la lut avant que le serviteur n'ait eu le temps de se retirer.

" Je ne comprends pas, s'étonna-t-elle. Quand l'a-t-il rédigée ?

- Il y a une semaine, répondit le messager. Il m'a dit qu'il fallait que j'arrive ici au plus vite pendant qu'il mobilisait l'armée. J'imagine que les troupes ont déjà quitté la cité. "

Kintyra renvoya le jeune homme. Modellus lui disait avoir reçu une lettre d'elle, demandant des renforts d'urgence pour l'aider à remporter la bataille de Pointe-Glen. Sauf qu'il n'y avait pas de bataille et qu'elle venait tout juste d'arriver. Mais alors, qui avait écrit cette missive en copiant son écriture, et surtout, qui pouvait vouloir que Modellus amène une seconde armée en Hauteroche ?

Un courant d'air glacé remonta le long de son échine et elle alla fermer les volets. Les gardes des remparts avaient disparu. Elle perçut un petit bruit de lutte derrière l'un des arbres et se pencha afin de voir ce qui se passait, en vain. Ce faisant, elle n'entendit pas la porte s'ouvrir.

Quand elle se retourna, elle vit que la reine Potéma se tenait dans la pièce, en compagnie de Mentin, duc de Pointe-Glen, et d'un groupe d'hommes en armes.

" Vous vous déplacez en silence, ma tante, dit-elle avant de se tourner vers le duc. Qu'est-ce qui vous a incité à trahir l'empire ? La crainte ?

- Et l'or, répondit le duc.

- Qu'est-il advenu de mon armée et des mes hommes ? demanda Kintyra en essayant de soutenir le regard de Potéma. La bataille est-elle déjà terminée ?

- Tes hommes sont morts jusqu'au dernier, répondit la Reine-Louve. Mais pourquoi parler de bataille quand ce qui s'est passé ici n'est rien d'autre qu'une succession d'assassinats. Les batailles viendront plus tard, contre Modellus dans les monts de la Queue du Dragon, puis contre le reste de l'armée impériale dans la cité. Je te tiendrai au courant de sa progression.

- Autrement dit, vous comptez me retenir en otage ? fit Kintyra, soudain consciente de l'épaisseur des murs de sa chambre. Regardez-moi en face, maudite ! Je suis votre impératrice !

- Vois plutôt les choses du bon côté, rétorqua Potéma en lui dédiant un clin d'œil. Grâce à moi, la minable dirigeante que tu étais va devenir une formidable martyre. Mais je comprendrais que tu n'aies pas le cœur à me remercier... "

Livre sept

De la plume d'Inzolicus, sage du deuxième siècle de l'ère Troisième :

3E 125

La date exacte de l'exécution de l'impératrice Kintyra Septim II à Pointe-Glen est sujette à spéculation. D'aucuns pensent qu'elle fut mise à mort peu de temps après son incarcération en 121, tandis que d'autres affirment qu'elle a sans doute été gardée en otage jusqu'à ce qu'oncle Céphorus, roi de Gilane, reprenne la partie occidentale d'Hauteroche pendant l'été 125. En tout cas, la preuve de la mort de Kintyra rallia de nombreux indécis contre la Reine-Louve et son fils, lequel avait été couronné empereur sous le nom d'Uriel III quatre ans plus tôt, après qu'il eût envahi une cité impériale trop peu défendue.

Céphorus concentra son offensive sur Hauteroche, tandis que son frère Magnus, roi de Lilmoth, traversait Morrowind sans combattre à la tête de ses Argoniens pour aller affronter Potéma dans sa province de Bordeciel. Les hommes-reptiles étaient particulièrement efficaces l'été mais, avec la venue de l'hiver, Magnus n'eut d'autre choix que de se replier vers le sud en attendant que le climat se réchauffe. Cette incapacité des troupes de Magnus à poursuivre leur offensive jusqu'à son terme prolongea la guerre de deux ans.

Également en l'an 125, Hellena, l'épouse de Magnus, donna naissance à leur premier enfant, un garçon prénommé Pélagius, en l'honneur du père de Magnus, de Céphorus, d'Antiochus et de la redoutable Reine-Louve de Solitude.

3E 127

Assise sur un épais coussin de soie dans l'herbe fraîche qui faisait un tapis de verdure devant sa tente, Potéma contemplait le lever de soleil par-delà les arbres, de l'autre côté de la clairière. L'aube regorgeait de vie, comme c'était si souvent le cas l'été en Bordeciel. Les insectes bourdonnaient autour d'elle et des milliers d'oiseaux traçaient des arabesques dans le ciel. La nature n'avait pas conscience que la guerre frappait aux portes de Rapastre.

" Un messager vient d'arriver en provenance de l'armée de Martelfell, Majesté ", lui dit l'une de ses servantes.

L'homme qui l'accompagnait avait le souffle court et des vêtements couverts de boue et de poussière. Il avait manifestement passé de longues heures en selle.

" Ma reine, je suis porteur de mauvaises nouvelles concernant votre fils, l'empereur, dit-il, les yeux rivés au sol. Il a affronté l'armée de votre frère, le roi Céphorus, en Martelfell, à proximité d'Ichidag. Vous pouvez être fière de lui, car il s'est bien battu, mais il a fini par s'incliner et a été fait prisonnier. Le roi Céphorus le ramène actuellement à Gilane. "

Potéma écouta l'intégralité du rapport, livide de rage.

" Le petit crétin ", siffla-t-elle finalement.

La Reine-Louve se leva et se rendit au camp où ses hommes se préparaient au combat. Il y avait bien longtemps que ces derniers avaient compris que leur maîtresse ne s'attachait guère au cérémonial et qu'elle préférait les voir se dépenser sans compter plutôt que de la saluer dès qu'elle passait. Le seigneur Vhökken se trouvait devant elle. Il avait déjà commencé à s'entretenir avec le chef des mages de guerre, avec lequel il discutait des stratégies de dernière minute.

" Qu'allez-vous faire, ma reine ? demanda le messager, qui l'avait suivie.

- Je vais vaincre Magnus, et ce, bien que l'occupation des ruines du château de Kogmenthist lui confère l'avantage de la position, répondit Potéma. Lorsque je saurai ce que Céphorus compte faire de l'empereur, je réagirai en conséquence. S'il faut verser une rançon, je la paierai. Si jamais mon frère souhaite procéder à un échange de prisonniers, il en sera ainsi. Et maintenant, allez vous débarbouiller, reposez-vous et ne gênez pas mes soldats.

- Ce scénario n'est guère idéal, lui expliqua le seigneur Vhökken alors qu'elle entrait dans la tente de commandement. Si nous attaquons par l'ouest, nous nous exposerons directement au feu des mages et archers. Si nous choisissons la voie de l'est, il nous faudra traverser les marais, et les Argoniens nous sont nettement supérieurs dans un tel environnement.

- Et qu'en est-il du nord et du sud ? Ce ne sont que collines, est-ce exact ?

- Des collines extrêmement pentues, Majesté, lui répondit le commandant en chef. Nous devrions y poster des archers, mais nous serions par trop vulnérables si nous y disposions l'essentiel de nos troupes.

- Donc, pas d'autre choix que le marais, en conclut Potéma, avant d'ajouter, pragmatique : À moins que nous ne replions et que nous n'attendions qu'ils sortent de leur trou.

- Si nous choisissons cette option, nous laisserons Céphorus amener son armée d'Hauteroche et nous nous retrouverons piégés entre les deux, lui rappela le seigneur Vhökken. Avouez que cette situation n'est guère souhaitable.

- Je vais aller parler aux hommes pour les préparer à passer par le marais, proposa le commandant en chef.

- Non. Je m'en charge ", trancha Potéma.

Les soldats en armure se rassemblèrent au centre du camp. Hommes et femmes, Cyrodiléens, Nordiques, Brétons et Dunmers, vieux et jeunes, enfants de nobles, de marchands, de serfs, de prêtres, de prostituées, de fermiers, d'académiciens et d'aventuriers. Tous réunis derrière la bannière du Diamant rouge, symbole de la famille impériale de Tamriel.

" Mes enfants, leur dit Potéma d'une voix forte. Ensemble, nous avons livré de nombreuses batailles, dans les montagnes et sur les plages, en forêt et dans le désert. Je vous ai tous vus accomplir de fantastiques actes de bravoure et je suis fière de vous. Et vous savez également vous battre déloyalement quand il le faut en faisant preuve de sauvagerie et de cruauté, ce qui me fait tout aussi plaisir. Car vous êtes tous de véritables guerriers. "

La Reine-Louve poursuivit son discours en allant d'un soldat à l'autre, les regardant tous droit dans les yeux.

" La guerre fait partie intégrante de votre sang, de votre cœur et de vos muscles ; elle est présente dans chacun de vos actes, chacune de vos pensées. Quand ce conflit sera terminé après la défaite ultime des fourbes qui cherchent à voler son trône au seul empereur de droit divin, Uriel Septim III, vous pourrez cesser de combattre. Vous aurez la possibilité de reprendre votre vie d'antan, à la campagne ou en ville, et de montrer vos cicatrices fièrement en narrant vos exploits à vos voisins émerveillés. Mais aujourd'hui, ne vous y trompez pas, vous êtes encore des guerriers. Plus que cela, vous êtes la guerre elle-même. "

Elle vit que ses paroles faisaient leur effet. Tout autour d'elle, les mains se refermaient convulsivement sur les armes, tandis que les yeux injectés de sang se plissaient, comme pour mieux se préparer au carnage à venir.

" Vous allez traverser le marais telle une déferlante issue du plus profond du Grand Oubli [sic] et vous arracherez les écailles des monstres qui occupent le château de Kogmenthist ! conclut-elle dans un cri. Vous êtes des guerriers, et vous ne devez pas vous contenter de combattre ! Vous devez gagner, vous m'entendez ? Gagner ! "

Ils lui répondirent par une grande clameur qui fit s'envoler tous les oiseaux des environs.

Potéma et le seigneur Vhökken trouvèrent un avantageux poste d'observation dans les collines du sud. De là, l'affrontement semblait opposer deux armées d'insectes de deux couleurs différentes se disputant une butte dont le sommet était occupé par les ruines du château. De temps en temps, leur attention était accaparée par une boule de feu ou un nuage d'acide invoqué par un mage. Le combat se poursuivit plusieurs heures durant, dans le plus grand chaos.

" Un cavalier approche ", dit soudain le seigneur Vhökken.

La jeune Rougegarde arborait les couleurs de Gilane mais tenait un drapeau blanc à la main. Potéma l'autorisa à approcher. La jeune femme n'avait pas plus ménagé ses efforts que le messager précédent.

" Majesté, fit-elle, essoufflée. Je suis envoyée par mon seigneur votre frère, le roi Céphorus, afin de vous prévenir que votre fils Uriel a été capturé à Ichidag puis amené à Gilane.

- Je le sais déjà, répondit la Reine-Louve avec dédain. Je possède mes propres messagers. Retourne dire à ton maître que, lorsque j'aurai gagné cette bataille, je verserai la rançon qu'il...

- Majesté, le convoi escortant votre fils jusqu'à Gilane a été intercepté par une foule en colère. Votre fils est mort. Il a brûlé dans l'incendie de son carrosse. "

Potéma reporta toute son attention sur la bataille. Ses soldats étaient sur le point de l'emporter ; les troupes de Magnus se repliaient.

" Ce n'est pas tout, Majesté, poursuivit la messagère. Le roi Céphorus a été proclamé empereur. "

Potéma refusa de la regarder. En haut de la butte, son armée célébrait la victoire.

Livre huit

De la plume d'Inzolicus, sage du deuxième siècle de l'ère Troisième :

3E 127

Suite à la bataille d'Ichidag, l'empereur Uriel Septim III fut capturé et mis à mort par une foule en colère avant qu'il ne soit possible de le conduire au château de son oncle, à Gilane. Aussitôt proclamé empereur, ledit oncle, Céphorus, se rendit sans attendre à la cité impériale. Les troupes qui étaient jusque-là loyales à Uriel et à sa mère, la Reine-Louve Potéma, jurèrent fidélité au nouvel empereur. En échange de son soutien, la noblesse de Bordeciel, de Hauteroche, de Martelfell, de l'archipel de l'Automne, du Val-Boisé, du Marais noir et de Morrowind demanda et reçut une semi-indépendance par rapport à l'empire. La Guerre du Diamant rouge était enfin terminée.

Potéma continua de livrer un combat voué à l'échec, sa sphère d'influence se rétrécissant peu à peu jusqu'à ce que seul le royaume de Solitude demeure en son pouvoir. Elle convoqua des Daedra afin qu'ils luttent pour elle, chargea ses nécromanciens de ramener ses ennemis vaincus à la vie sous forme de guerriers morts-vivants et lança une interminable succession d'attaques contre les forces de ses frères, l'empereur Céphorus Ier et le roi Magnus de Lilmoth. Ses alliés commencèrent à l'abandonner au fur et à mesure que sa démence croissait, jusqu'à ce que ses seuls compagnons demeurent les squelettes et zombis qu'elle avait amassés au fil des ans. Le royaume de Solitude devint donc celui de la mort, les sujets de la Reine-Louve vivant dans la terreur de leur souveraine, dont on racontait qu'elle était accompagnée de femmes de chambre en état de putréfaction avancée et qu'elle préparait ses plans de guerre en compagnie de généraux vampires.

3E 137

Magnus ouvrit la petite fenêtre de sa chambre, entendant les bruits de la ville pour la première fois de la semaine : les grincements des charrettes, les sabots des chevaux sur les pavés et, au loin, un rire d'enfant. Il sourit et retourna près de son lit afin de se laver le visage et de finir de s'habiller. On frappa à la porte et il reconnut aussitôt le nombre et le rythme des coups.

" Entre, Pel ", s'exclama-t-il.

Pélagius entra d'un bond. Il était manifestement levé depuis de longues heures. Magnus s'émerveilla de son énergie, en se demandant combien de temps les batailles dureraient si l'on ne mettait en présence que des soldats de douze ans.

" Avez-vous regardé au dehors, père ? demanda le garçon. Tous les habitants de la ville sont de retour. J'ai vu des tas d'échoppes ouvrir, et aussi la guilde des Mages, je crois, et il y en a encore plein d'autres du côté du port.

- Les gens n'ont plus peur, répondit Magnus. Nous nous sommes chargés des zombis et fantômes qui vivaient à côté d'eux et ils savent désormais qu'ils peuvent rentrer chez eux en toute tranquillité.

- Mon oncle Céphorus se transformera-t-il lui aussi en zombi à sa mort ? s'enquit Pélagius.

- Il en serait bien capable, lui dit Magnus en partant d'un grand rire. Pourquoi cette question ?

- J'ai entendu des gens dire qu'il était vieux et malade.

- Il n'est pas si vieux que cela, protesta Magnus. Il a juste soixante ans, deux ans de plus que moi.

- Et quel âge a tante Potéma ? demanda Pélagius.

- Soixante-dix ans. Et, oui, avant que tu ne me le dises, elle est vieille. Si tu as d'autres questions, elles devront attendre. J'ai rendez-vous avec le commandant en chef, mais nous pourrons continuer cette discussion au repas. Tu sauras t'occuper sans causer de catastrophe, d'ici là ?

- Oui, monsieur. "

Pélagius comprenait pourquoi son père devait poursuivre le siège du château de tante Potéma. Une fois la victoire acquise, ils quitteraient l'auberge pour aller s'installer dans la place forte ; mais cela n'attirait guère l'adolescent. Une odeur aussi étrange que désagréable planait sur la ville et il était presque impossible d'approcher du château sans s'étrangler. Une telle puanteur ne s'en irait probablement jamais, même si l'on plantait des millions de fleurs alentour.

Il parcourut les rues de la cité de longues heures durant, achetant un peu de nourriture et quelques rubans pour sa sœur et sa mère, restées à Lilmoth. Réfléchissant à qui il pouvait encore faire des cadeaux, il constata avec effarement que tous ses cousins, c'est-à-dire les enfants de sa tante Potéma et de ses oncles Céphorus et Antiochus, avaient péri pendant la guerre, certains au combat, les autres de la famine qui avait suivi l'incendie des cultures. Sa tante Biank-i était morte l'année précédente. Il ne restait plus que lui, sa mère, sa sœur, son père et son oncle l'empereur. Et sa tante Potéma, bien sûr ; mais elle ne comptait pas vraiment.

En passant devant la guilde des Mages, il décida tout d'abord de ne pas y entrer, ce genre de lieu l'inquiétant avec sa mystérieuse fumée, ses cristaux et ses vieux livres. Mais peut-être pourrait-il y acheter un présent pour son oncle Céphorus. Oui, un souvenir de la guilde des Mages de Solitude.

Une vieille femme éprouvait des difficultés à ouvrir la porte d'entrée, aussi Pélagius le fit-il à sa place.

" Merci ", lui dit-elle.

Il n'avait jamais vu personne d'aussi vieux. Le visage de l'inconnue ressemblait à une vieille pomme ridée surplombée d'une couronne de cheveux blancs. Il s'écarta instinctivement quand elle voulut lui tapoter la tête pour le remercier. Mais la gemme qu'elle portait autour du cou le fascina immédiatement. De couleur jaune vif, elle donnait l'impression que quelque chose était enfermé à l'intérieur. Une bête à quatre pattes semblait apparaître en son cœur chaque fois que la lumière tombait directement dessus.

" C'est une gemme spirituelle renfermant l'esprit d'un grand loup-garou démoniaque, expliqua la vieillarde. Elle a été enchantée il y a bien longtemps et possède le pouvoir de charmer les gens, mais cela fait quelque temps que je pense à changer son sort, pour y mettre un enchantement de l'école de l'Altération comme Verrou ou Bouclier, par exemple. Mais tu me rappelles quelqu'un, petit. Quel est ton nom ?

- Pélagius, répondit-il. "

En temps normal, il aurait ajouté qu'il était prince, mais son père l'avait enjoint de ne pas attirer l'attention en ville.

" Je connaissais quelqu'un qui s'appelait ainsi, dit-elle en souriant. Es-tu ici tout seul, Pélagius ?

- Mon père est... avec l'armée assiégeante. Mais il me rejoindra dès que le château sera tombé.

- Ce qui ne devrait plus tarder, hélas, soupira la vieille femme. Comme quoi rien ne dure éternellement, quel que soit le soin que l'on prenne à sa construction. Es-tu venu acheter quelque chose auprès de la guilde des Mages ?

- Oui, un cadeau pour mon oncle, mais je ne crois pas avoir assez d'argent. "

La vieille femme laissa quelques instants l'adolescent, le temps pour elle de s'entretenir avec l'enchanteur de la guilde. Ce dernier était un jeune Nordique ambitieux, nouvellement arrivé à Solitude. Il suffit qu'elle lui montrât la couleur de son or pour qu'il accepte de faire disparaître le sort de charme de la gemme et de le remplacer par une puissante malédiction qui volerait lentement la sagesse du porteur du collier jusqu'à ce que celui-ci perde totalement la raison. Dans le même temps, elle lui acheta un peu coûteux anneau de résistance au feu.

" Tiens, pour la gentillesse dont tu as fait preuve envers moi, je t'ai acheté ceci, fit-elle en revenant à côté de Pélagius. Donne l'anneau à ton oncle et dis-lui qu'il s'agit d'une bague de lévitation, qui le protègera si jamais il lui faut sauter de haut. Quant à la gemme spirituelle, elle est pour toi.

- Merci, mais vous êtes trop bonne avec moi, protesta-t-il.

- La bonté n'a rien à voir là-dedans, répondit-elle avec honnêteté. Vois-tu, je me suis rendue une ou deux fois dans la salle des registres du palais impérial et j'y ai lu une prophétie parlant de toi dans les Parchemins des Anciens. Tu deviendras un jour empereur sous le nom de Pélagius Septim III, mon garçon. Et tant que tu auras cette gemme pour te guider, ton nom passera à la postérité. "

Sur ces mots, la vieille femme s'engagea dans une allée proche de la guilde des Mages. Pélagius la regarda disparaître, sans songer à regarder l'endroit par où elle était partie. S'il l'avait fait, il aurait découvert un tunnel menant au cœur de Castel-Solitude. Et, s'il l'avait emprunté, il aurait atteint, au-delà des morts-vivants et des restes pourrissants d'un palais autrefois splendide, les quartiers de la reine.

Là, dans la chambre à coucher, il aurait aperçu la Reine-Louve de Solitude allongée sur son lit, écoutant calmement le fracas de l'effondrement de son château. Et il aurait vu la vieille femme se fendre d'un ultime sourire sadique en rendant son dernier souffle.

De la plume d'Inzolicus, sage du deuxième siècle de l'ère Troisième :

3E 137

Potéma Septim mourut après que son château eût été assiégé pendant un mois. De son vivant, elle avait multiplié les titres et les honneurs : Reine-Louve de Solitude, fille de l'empereur Pélagius II, épouse du roi Mantiarco, tante de l'impératrice Kintyra II, mère de l'empereur Uriel III et sœur des empereurs Antiochus et Céphorus. Suite à son décès, Magnus nomma son fils Pélagius roi de Solitude, sous la tutelle du conseil royal.

3E 140

L'empereur Céphorus Septim meurt des suites d'une chute de cheval. Son frère est proclamé empereur sous le nom de Magnus Septim.

3E 141

Les Annales impériales notent que Pélagius, roi de Solitude, souffrirait " d'excentricité chronique. " La même année, il épouse Katariah, duchesse de Vvardenfell.

3E 145

Mort de l'empereur Magnus Septim et couronnement de son fils, qui apposera sa marque dans les livres d'histoire sous le nom de Pélagius le Dément.